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L’attachement au lieu : quel impact sur les éco-gestes et la sensibilisation ?

De nombreuses études ont cherché à comprendre les facteurs permettant d’expliquer les éco-gestes (tri des déchets, achat responsable etc). Parmi ces facteurs, l’attachement au lieu, défini comme le lien cognitif et émotionnel que les gens entretiennent avec un lieu, pourrait jouer un rôle fondamental et largement sous-évalué. De manière générale, les études montrent que plus les gens sont attachés à un lieu, et plus ils ont tendance à le protéger et à s’engager plus globalement pour l’environnement. De nouvelles stratégies de sensibilisation sont alors envisageables pour influencer indirectement les comportements en améliorant le lien qui rattache l’individu à un lieu donné.

La plupart des chercheurs estime que l’attachement au lieu comporte plusieurs dimensions.  Les dimensions les plus fréquentes sont la dépendance au lieu et l’identité du lieu.

La dépendance au lieu décrit dans quelle mesure les ressources disponibles satisfont les besoins et les buts de la personne dans ses activités quotidiennes (ex. randonnée dans un parc naturel à proximité). La dépendance au lieu est proche de la notion biologique de domaine vitale qui désigne « L’ère traversée par l’individu dans ses activités quotidiennes de collecte alimentaire, reproduction, soin des jeunes. ». Ces lieux traversés dans la vie quotidienne peuvent être mesurés par des items (ex. « cet endroit est le meilleur endroit pour ce que j’aime faire) ou par une carte mentale dans laquelle les individus assignent des valeurs à des lieux.

L’identité du lieu est la seconde dimension la plus citée et renvoie à l’investissement psychologique et émotionnel d’un individu vis-à-vis d’un lieu. Cet investissement tend à augmenter avec le temps et inclut également une dimension sociale. Le lieu satisfait le besoin d’appartenance à un groupe, ce qui augmente notamment l’estime de soi (ex. lieu de pèlerinage, endroit emblématique du quartier). Cette forme d’attachement est typiquement mesurée via des items du type «je sens que ce lieu fait partie de moi ». L’identité du lieu et la dépendance au lieu ont un versant comportemental et constitue donc un enjeu important pour les politiques publiques.

Une identité forte dans un lieu donné facilite également le sentiment de contrôle social informel et la coopération avec les autres membres du groupe.

L’attachement au lieu se caractérise notamment par des comportements de protection du lieu. Des résidents qui se sentent fortement intégrés à leur quartier ont plus de chances de s’engager dans des actions civiques, telles que lutter contre la pollution de l’air. L’attachement au lieu favorise également des écogestes qui n’ont pas d’impact immédiats et visibles sur le lieu dans lequel ils se déroulent. A Shanghaï, Pei (2019) a montré que plus les gens se parlent et s’entre-aident, et plus ils ont tendance à trier. De la même manière, plus les gens résident depuis longtemps dans la résidence et sont tristes à l’idée de la quitter, et plus ils ont tendance également à trier.

Plus les gens sont attachés à leur lieu de vie, et plus ils ont tendance à le protéger et s’engager plus généralement pour l’environnement.

Cependant, l’attachement au lieu favorise également des comportements plus ambivalents. En Norvège par exemple, une étude a été réalisée sur des habitants concernant un projet de centrale hydroélectrique (Vorkinn et Riese, 2001). Plus les personnes étaient attachées à leur lieu de vie, et moins elles étaient favorables à ce projet. D’autres études ont également montré que certaines dimensions de l’attachement au lieu peuvent être potentiellement néfastes. Sur l’île de la Réunion, l’identité du lieu est associée négativement aux éco-gestes (Junot et al, 2018). Plus le lieu de résidence est considéré comme une partie de soi-même, et moins les gens éteignent la lumière, trient leurs déchets, compostent etc.

Pour tirer un bilan général des études académiques, une méta-analyse sur 40 articles a été réalisée (Daryanto et Song, 2021).

Les résultats montrent que l’attachement au lieu a un impact globalement positif sur les éco-gestes. Plus les gens sont attachés à leur lieu de vie, et plus ils ont tendance à le protéger et s’engager plus généralement pour l’environnement.

Toutefois, l’attachement au lieu aurait plus d’importance pour les touristes que pour les résidents. Ce résultat surprenant pourrait s’expliquer par la volonté des touristes de conserver de bons souvenirs dans le cadre d’activités récréatives. Les éco-gestes contribueraient alors à protéger le lieu de loisir et ses caractéristiques physiques. En revanche, l’attachement au lieu des habitants reposerait davantage sur les liens de voisinages construits dans la durée. La protection du lieu et de ses caractéristiques physiques jouerait alors un rôle secondaire par rapport à la préservation des liens sociaux.

L’attachement au lieu aurait également plus d’impact dans les sociétés collectivistes que dans les sociétés individualistes. Dans les sociétés collectivistes, la structure de la personnalité se caractérise notamment par la tendance à rechercher les similarités avec autrui et à se définir en fonction du contexte (Markus et Kitayama, 1991). Le lieu et ses habitants sont alors au centre de la définition de soi-même. A l’inverse, dans les sociétés individualistes, la structure de la personnalité se caractérise notamment par la tendance à rechercher la différence avec autrui et à se définir en fonction de traits stables (ex. je suis extraverti). Le lieu et ses caractéristiques n’ont alors qu’une importance secondaire dans la définition de soi-même.

En résumé, l’attachement au lieu est particulièrement décisif pour les touristes et dans les sociétés collectivistes, mais demeure tout de même très important pour les résidents et pour les membres des sociétés individualistes.

À Paris, on trie !

Différentes stratégies sont envisageables pour prendre en compte l’attachement au lieu. Une piste intéressante consiste simplement mentionner le lieu dans lequel se déroule une campagne de communication. Par exemple, il est possible d’ajouter plus systématiquement le nom de la résidence ou de la ville dans les stickers, affiches, flyers (ex. « A paris, on trie ! » Il est également possible de faire davantage de liens entre un éco-geste et ses conséquences locales, en rappelant par exemple les effets du dérèglement climatique sur le quartier (ex. montée des eaux) ou en administrant un feedback collectif (ex. « dans votre résidence, vous avez composté X kg de déchets alimentaires »).

Afin d’améliorer l’attachement au lieu, une stratégie potentiellement efficace consiste à faciliter la coopération. Par exemple, le compostage partagé est une activité coopérative qui aide à construire un groupe. Le compostage génère en effet des discussions d’ascenseur, des événements festifs (ex. récolte du compost), et un résultat visible (le compost) qui peut être utilisé localement comme engrais. D’autres activités peuvent également générer de la coopération, telles que le jardinage communautaire, le nettoyage nature, la préparation de fêtes ou d’événements associatifs.

Une deuxième piste consiste à identifier les besoins perçus par les habitants. Le cabinet [S]city propose des livrets dans lesquels on interroge les habitants d’une rue sur les émotions ressenties. Des pistes de solutions sont également recueillies et peuvent permettre de modifier ultérieurement l’environnement. Un autre outil consiste à fournir des appareils photos à des habitants pour qu’ils photographient les lieux qui ont de l’importance pour eux. De cette manière, on peut identifier des totems, des lieux emblématiques du quartier. Ces lieux emblématiques peuvent être ensuite mis en valeur.

“Fresque colorée, 95 rue du temple dans le Marais à Paris, représentant le quartier et ses éléments emblématiques”.

Une troisième piste consiste à modifier des éléments de décors. L’artiste Daniel Van Der Noon et l’agence The Street Society ont recouvert d’une fresque colorée un préau situé rue du Temple dans le Marais. Cette fresque représente le quartier et ses éléments emblématiques. Depuis 2 ans, aucuns affichages sauvages ni graffitis n’ont été observés. En plus du Street Art, le recours à un design biophilic constitue une piste intéressante.

Le design biophilic vise à éliminer le stress et l’anxiété provenant du bâti humain moderne en tirant des leçons de la nature et de son mode d’organisation (Salingaros, 2018).

Un design biophilic ne se limite pas à un simple ajout d’éléments naturels (végétation, point d’eau etc.) mais se caractérise notamment par des formes courbes, des structures fractales (structure similaire à chaque grossissement successif), ainsi que de nombreux détails et ornements qui rappellent l’environnement naturel ancestral dans lequel le cerveau humain a évolué. Repenser l’aménagement d’un lieu de manière à maintenir une connexion avec la nature pourrait ainsi augmenter l’attachement au lieu et améliorer les éco-gestes (Cole et al, 2021).

 L’intérieur de la basilique Sagrada Familia évoque des formes naturelles et pourrait avoir un impact positif sur la santé humaine.

En résumé, l’attachement au lieu a un impact globalement positif sur les éco-gestes et constitue un enjeu important pour les politiques publiques. Différentes stratégies visant à influencer indirectement les comportements deviennent alors envisageables : mentionner le lieu dans la communication, créer de la coopération dans la résidence, identifier les besoins perçus des résidents, ou encore modifier la décoration via du street art ou un design biophilic. Une prochaine étape prometteuse consiste à prendre en compte l’attachement au lieu dans les phases de conception des projets urbains. En mobilisant les habitants en amont et en intégrant les résultats de différentes disciplines telles que l’urbanisme, les neurosciences cognitives, les sciences des systèmes, ou l’architecture, il devient possible de construire des villes harmonieuses où les éco-gestes sont intégrés sans effort dans le quotidien des habitants.

Bibliographie :

Cole, L. B., Coleman, S., Scannell, L. (2021). Place attachment in green buildings: Making the connections, Journal of Environmental Psychology, 74. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2021.101558.

Daryanto, A., & Song, Z. (2021). A meta-analysis of the relationship between place attachment and pro-environmental behaviour, Journal of Business Research,123, 208-219. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2020.09.045.

Junot, A, Paquet, Y, Fenouillet, F. (2018). Place attachment influence on human well-being and general pro-environmental behaviors. Journal Theoretical Social Psychology,  ,  49– 57. https://doi.org/10.1002/jts5.18

Markus, H. R., & Kitayama, S. (1991). Culture and the self: Implications for cognition, emotion, and motivation. Psychological Review, 98(2), 224–253. https://doi.org/10.1037/0033-295X.98.2.224

Salingaros, Nikos A. (2015) “Biophilia and Healing Environments: Healthy Principles For Designing the Built World”. New York: Terrapin Bright Green, LLC.

Vorkinn, M., & Riese, H. (2001). Environmental Concern in a Local Context: The Significance of Place Attachment. Environment and Behavior33(2), 249–263. https://doi.org/10.1177/00139160121972972

Pei, H. (2019). Roles of neighborhood ties, community attachment and local identity in residents’ household waste recycling intention. Journal of Cleaner Production, 241. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2019.118217

Article rédigé par Jean-damien Grassias, doctorant en sciences de gestion chez Terravox.

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